TRAFIC DE MEDICAMENTS : UNE MAFIA INTOUCHABLE
S’il y a une mafia qui n’a pas fini de faire du mal, c’est bien celle liée à la vente de médicaments contrefaits. Un réseau huilé continue de faire le malheur des pharmaciens. Mais à y voir de près, il semble bien protégé.
Les pharmaciens ne ratent jamais l’occasion de crier leur désarroi par rapport au phénomène des médicaments contrefaits. Bien installés dans le système de distribution, cette mafia est presque indéboulonnable. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Les propos de Me Babou, avocat de l’ordre des pharmaciens du Sénégal dans l’affaire qui avait éclaté à Touba Bellel en dit beaucoup sur la situation. Pour la robe noire, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une ‘’association de malfaiteurs, contrebande, vente illicite de produits pharmaceutiques et trafic international. De gros bonnets sont derrière cette affaire et le convoyeur originaire de la Guinée Bissau a été arrêté. Nous sommes en face d’un système mafieux avec des gens qui servent du poison aux populations de Touba. C’est extrêmement grave. Les commanditaires et les propriétaires de cette drogue, de ce poison, sont tous à Touba. Et je pense que dans cette affaire, Interpol devrait entrer en scène puisqu’il s’agit d’un trafic international. Il faut que les autorités religieuses de Touba bougent », avait-il déclaré.
Une affaire qui en disait beaucoup sur l’ampleur du phénomène. D’ailleurs selon l’Organisation Mondiale de la Santé, « 30 à 70 % des médicaments commercialisés en Afrique sont contrefaits ».
Pour freiner ce phénomène, le gouvernement du Sénégal décide d’interdire la vente de médicaments dans la rue. Une mesure hautement saluée, mais qui semble être de la poudre aux yeux. En effet, Keur Serigne Bi, situé non loin de la gare Petersen, continue d’être une plaque tournante de ce business. Même s’il n’y a pas de médicaments exposés sur les tables tels des beignets, le business a juste changé de stratégie. Aujourd’hui, il suffit de marquer le pas au niveau de la zone pour que les vendeurs discrets vous interpellent et proposent leurs services. Pour en avoir le cœur net, nous nous rendons sur place. Ici, les choses vont très vite. Il suffit qu’un piéton marque le pas pour être pris d’assaut par les « vendeurs en pharmacie informels ». Un homme de taille élancée débarque devant nous. « Vous avez besoin de quelque chose », nous demande-t-il, tout en regardant autour de lui. « Des médicaments, lui répond-on. Mais nous attendons celui qui a l’ordonnance ». « D’accord, je suis devant la boutique d’en face. Je pourrai vous aider », dit-il, en indiquant subtilement une quincaillerie. Selon ses dires, il est dans le business depuis très longtemps. Et pour lui, cela suffit pour prouver qu’il est dans la légalité.
Touba, l’équation à mille inconnus ?
Dans les grandes artères de la capitale du mouridisme, ce qui frappe en premier le visiteur, c’est forcément la forte présence de pharmacie. Elles sont presque aussi nombreuses que les boutiques. Mais il suffit d’observer de plus près pour remarquer une différence palpable entre les pharmacies. Si certaines sont aux normes, d’autres n’ont presque rien à envier aux quincailleries. Du décor au vendeur, tout est presque informel. « C’est la plaque tournante du trafic de médicaments. Il y a de cela quelques années, un lot de médicaments contrefaits d’une quantité de plus d’1,2 tonnes a été saisie. L’affaire a fait le tour du pays. Mais la suite on la connait. Les médicaments ont été restitués. Pourquoi ? tout le monde le sait. Mais personne n’ose en parler », se désole ce responsable de l’ordre des pharmaciens.
Selon ce membre du Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal, l’Etat semble être impuissant face à cette situation. « A Touba par exemple, une opération avait permis de déceler plus de 290 dépôts illégaux. Le rapport avait été clair, mais il est resté dans les tiroirs. C’est une affaire de santé publique. On ne badine pas avec. Si vous regardez l’affaire du sirop qui a couté la vie à plusieurs bébés, c’est parce qu’on n’a pas été rigoureux. Aucune considération envers quelque lobby ou groupe de pression que ce soit ne doit retenir l’attention des autorités de la République », a-t-il clamé.
Un marché estimé à plus de 12 milliards de FCfa Si aujourd’hui ce marché fait saliver, c’est qu’il constitue un véritable business. On parle d’un marché estimé à plus de 12 milliards FCFA par an.
«30% des médicaments en circulation dans les pays en voie de développement sont falsifiés et 50% des médicaments disponibles dans certains pays sont concernés. Plus de 200 000 personnes meurent chaque année parce qu’elles ont eu le malheur de prendre de bonne foi un faux médicament contre le paludisme une maladie endémique au Sénégal et dans la plupart des Etats africains. 50% des médicaments achetés sur le net sont faux. Ce qui provoque de lourdes pertes en vies humaines et cause un lourd tribut aux économies nationales », révélait une étude de l’Organisation mondiale pour la santé.